VASSIGH
Chidan
N°
étudiant : 15603939
Philosophie
Paris 8 en L3
Pour la validation du cours :
Hegel – Phénoménologie de l’esprit
Pr. Antonia BIRNBAUM
30 mai 2016
Commentaire
d’un extrait
de l’Introduction à la Phénoménologie
de l’Esprit de Hegel
« C’est une représentation tout à fait naturelle...
cette crainte de faire
erreur ne soit déjà l’erreur elle-même.»*
Traduction de
Jean-Pierre Lefebvre
L’errance
de la critique de la connaissance comme outil ou intermédiaire 1 :
l’Absolu
est déjà chez nous
L’Introduction
à la Phénoménologie de l’Esprit (que nous abrégeons par PhE), est
une entrée en matière de la pensée du maître d’Iéna, de ce qu’il appelle
« Système de la Science ». Par ce commencement éminemment
spéculatif 2, théorique et conceptuel, d’une œuvre qu’il
intitule Science de l’expérience de la Conscience, Hegel vise à faire
comprendre le savoir vrai, pur, en réfutant les idées philosophiques prédominantes
de son époque, celles de ses devanciers, Kant et Fichte en particulier. la PhE,
écrit-il dans sa note de présentation aux libraires en 1807, « doit venir
en place des explications psychologiques, ou encore des discussions abstraites
sur la fondation du savoir. Elle considère la préparation à la Science à
partir d’un point de vue par quoi elle est une nouvelle, intéressante et la
première Science de la Philosophie. Elle saisit dans soi les diverses figures
de l’Esprit comme des stations du chemin par lequel elle devient savoir
pur ou Esprit absolu»3.
L’Introduction,
plus que la Préface ajoutée après coup, est une des parties de la PhE
la plus commentée et discutée. Elle doit l’intérêt qu’elle a suscité à ce
qu’elle pose d’emblée la ligne générale du système hégélien, dans sa rupture
avec la philosophie d’avant lui et dans la mise en place d’une nouvelle. Parmi les
commentaires de la PhE, on peut en citer deux, à mon sens les plus riches, que
je me suis inspiré dans cet exposé. Le texte de Heidegger, Hegel et son
concept de l’histoire, publié dans les les chemins qui ne mènent
nulle part 4 et le commentaire d’Alexis
Philonenko de la Préface et de l’Introduction de la PhE
dans sa Lecture de la « phénoménologie de Hegel 5.
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Le
morceau de texte que nous allons commenter ici comprend le premier paragraphe suivi
de sept lignes du second paragraphe de l’Introduction de la PhE, de la
page 115 à 117 de la traduction de Lefebvre dans l’édition GF Flammarion.
On trouve,
d’entrée de jeu, dans l’Introduction, en général, et dans le fragment à
commenter, en particulier, les concepts principaux de l’entreprise qu’est l’expérience
du monde 6 de l’Esprit dans son aventure, ses
métamorphoses, ses différentes figures, ses
divers moments, et cela, sur son chemin de croix, sa longue marche, qui commence
par la certitude sensible jusqu’au moment où la conscience se sait Esprit
absolu, se reconnaît en lui. Principes que nous sommes amenés, au fil de notre
étude , à étudier dans la langue de Hegel : chose même, connaissance
effective, absolu, fin ultime, en soi, pour soi,
concept, essence absolue, pour nous, ruse, medium,
vérité, science , effectivement.
Mais que dit Hegel, en
quelques mots succincts, dans cette ouverture de l’Introduction?
Toute
critique de la connaissance considérée comme outil ou mittel (milieu,
intermédiaire) pour saisir l’absolu, connaissance effective de ce qui est en
vérité, est futile. Une telle errance 7 provient de cette fausse idée que la connaissance, prise
pour instrument ou medium, est séparée de l’absolu et qu’il faut par conséquent
se soucier de ne pas tomber dans l’erreur. Ce genre de scrupule se
fonde en fait sur la peur de la vérité, peur de la science qui se met à l’œuvre
et connaît effectivement, peur d’appréhender l’absolu qui est
déjà, en soi et pour soi, chez nous, auprès de nous
philosophes. Or les esprits que nous sommes ne craignent pas la vérité car
cette crainte est déjà l’erreur elle-même.
Dans ce cadre-là, les grandes
idées structurantes du texte, à notre avis, sont de l’ordre de sept que nous
intitulons ainsi :
1. La critique
classique considère la connaissance comme un outil ou un milieu intermédiaire.
2. Cette
critique s’inquiète de faire un mauvais choix en prenant le faux pour le vrai.
3. Cette
inquiétude conduit à la conviction que toute quête de l’absolu est absurde.
4. Position
des deux variantes de la connaissance comme outil et comme milieu.
5. Pour
pallier ces inconvénients, on a inventé des subterfuges somme toute futiles.
6. Cette
futilité vient de la séparation de la connaissance d’un absolu qui est
déjà chez nous.
7. Cette
crainte de l’erreur, n’est que la peur d’une science qui connaît effectivement.
Étudions point par
point, texte de Hegel à l’appui, les idées développées par celui-ci.
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1. La critique classique considère la
connaissance comme un outil ou un intermédiaire.
Hegel commence l’Introduction
par énoncer l’existence d’une représentation, d’une pensée, en
philosophie, qui semble, apparaît d’emblée, naturelle, c’est-à-dire
de l’ordre de la nature des hommes et des choses, quelque chose de commun,
accepté par tous, du sens commun, donnant impression de vérité sans avoir besoin
de preuves.
« C’est une représentation tout à fait
naturelle de penser qu’en philosophie, avant d’aborder la chose même qui
l’occupe, savoir, la connaissance effective de ce qui est en vérité, il est
nécessaire de s’accorder préalablement sur la connaissance que l’on considère
comme l’outil qui permettrait de s’emparer de l’absolu, ou comme l’élément
intermédiaire à travers lequel on puisse l’apercevoir. »
Selon
cette pensée, avant de commencer à s’occuper de ce qui préoccupe la
philosophie, ce qui présente sa raison d’être - c’est-à-dire la connaissance
effective de la chose elle-même, ce qui est en
vérité, ce qui, chez Hegel, veut dire l’Esprit absolu, le réel ou le
rationnel effectif, le « vraiment étant »8 effectif
en marche, en œuvre et en ouvrage – il faut se mettre d’accord, s’entendre, en
premier lieu et avant toute chose, sur ce avec quoi on entreprend l’opération
de « connaître », sur ce que c’est que la «connaissance» elle-même. En
partant de ce préalable nécessaire, cette pensée critique philosophique,
dont certaines figures représentatives sont, en particulier en Allemagne, Kant
et Fichte, tient la « connaissance » pour un outil, un instrument ou
un mittel c’est-à-dire un milieu,
un intermédiaire ou medium.
2. Cette critique s’inquiète de faire un mauvais
choix en prenant le faux pour le vrai.
Or cette philosophie, en
considérant la connaissance comme outil ou medium, comme milieu ou intermédiaire,
se soucie fortement de faire un mauvais choix entre les connaissances ou de de
ne pas pouvoir déterminer correctement la nature et la limite de la
connaissance, et par conséquent de
courir le risque de tomber finalement dans l’erreur et non la vérité.
« Il semble légitime de s’inquiéter, d’une
part, de ce qu’il pourrait y avoir diverses espèces de connaissance, et, parmi celles-ci, une espèce
plus idoine qu’une autre à parvenir à cette fin ultime – qu’on pourrait donc
faire le mauvais choix entre celles-ci–, et d’autre part aussi de redouter, dès
lors que la connaissance est une faculté d’une espèce et d’une portée
déterminée, que faute d’une détermination plus précise de sa nature et de sa
limite, on appréhende, non le ciel de la vérité, mais les nuages de l’erreur. »
Dès que que la
connaissance comme instrument ou medium est séparée de son but qu’est
l’absolu, on pourrait s’inquiéter – et cela semble (scheint),
paraît, fondé - de ce qu’il pourrait y avoir plusieurs outils, multiple
connaissances, sciences, de diverses espèces, pour parvenir au but. Et
la question qui se pose alors est de savoir laquelle de ces connaissances est la
plus idoine, la plus appropriée, pour la tâche qu’on s’est fixée? Laquelle
peut nous servir de modèle? En son temps, Descartes a répondu : dans un
ensemble de sciences où la raison est en œuvre, parmi celles-ci il en est une
qui sert de modèle et c’est la géométrie 9. Mais est-ce
la bonne ? il paraît donc y avoir un risque d’erreur, un risque de
choisir mal entre ces connaissances, de faire
un mauvais choix.
Mais Il paraît y avoir aussi un second
souci, en liaison avec le premier : c’est qu’ayant privilégié une des
connaissances, une des sciences, parmi d’autres, on se croit obligé de
déterminer la nature, l’essence, et la portée de celle-ci. C’est Kant qui définit
l’essence du savoir, mais en le concevant comme un instrument, il trouve
inévitablement un écart entre la chose elle-même et l’entendement 10,
ce qui l’amène à la prise de conscience que la raison a un pouvoir limité dans
sa quête de l’absolu. Tout cela amène cette critique de la connaissance comme
outil à dire que si on ne parvient pas à déterminer de façon précise la nature
de celle-ci et ses limites, ce que cette pensée croit bien avoir, alors on pourrait
redouter de trouver le faux à la place du vrai, d’appréhender, non le ciel de la vérité,
mais les nuages de l’erreur.
3. Cette inquiétude conduit à la conviction que
toute quête de l’absolu est absurde.
Le résultat fatal de
toute représentation instrumentale de la connaissance est qu’elle arrive à
cette conviction – terme que cette pensée utilise, or la conviction est
du monde de la croyance et non du savoir et par conséquent étrangère au
philosophe qui sait - que par la connaissance, par le savoir humain, on ne peut
acquérir la connaissance de ce qui est en vrai, de ce qui est en soi,
de l’absolu, et par conséquent toute quête en vue de ce but ultime n’est que
absurdité et sottise. Entre la connaissance et l’absolu, on trace donc une
limite, une frontière, infranchissable, les séparant de façon absolue.
« Souci qui, sans doute, ne peut faire
autrement qu’évoluer en la conviction que toute la démarche initiale dans
laquelle on commence à faire, par la connaissance, l’acquisition pour la
conscience de ce qui est en soi, est dans son concept même une absurdité, et
qu’entre la connaissance et l’absolu, tombe une limite qui les sépare
absolument. »
La
connaissance étant considérée comme instrument séparé de l’absolu, bien que se
révélant inapte à saisir celui-ci, on pourrait encore essayer d’examiner le mittel
et de trouver des solutions pour pallier ses inconvénients.
4. Position des deux variantes de la
connaissance comme outil et comme milieu.
Il y donc
deux variantes. La première est celle où la connaissance est conçue comme un
outil ou un instrument de notre activité. il est alors tout à fait patent que
celui-ci dans son opération sur la chose, objet de la connaissance, laisse des
traces, la modifie, la transforme ou la façonne.
Il y a aussi l’autre variante où la connaissance
n’est pas considérée comme un outil mais comme un medium, un milieu de réception
et d’envoi, une forme de « verre coloré » (disait Fichte) qui reçoit
les rayons de la lumière de la vérité telle qu’elle est en soi et qui les
réfracte en les transmettant vers nous. Nous ne recevons alors que la
« vérité » telle que le dispositif fait passer, réfracter en le transférant.
« Si, en effet, la connaissance est l’outil
qui permet de s’emparer de l’essence absolue, il est immédiatement évident que
l’application d’un outil à une chose ne laissera pas celle-ci telle qu’elle est
pour soi, mais procédera au contraire sur elle à un façonnage et à une
transformation. Ou alors, si la connaissance n’est pas un outil de notre
activité, mais, dans une certaine mesure, un medium passif au travers duquel la
lumière de la vérité parvient jusqu’à nous, nous ne recevrons pas non plus
alors cette vérité telle qu’elle est en soi, mais telle qu’elle est par et dans
ce medium. »
Alexis Philonenko, dans son commentaire de l’Introduction
souligne l’importance de ces variantes, la connaissance comme outil et la connaissance
comme medium, bien que, dit-il, cela ne change rien à la grande perspective générale menant de
Descartes à Kant, c’est-à-dire à leur dualisme épistémologique. Philonenko distingue
deux aspects dans ces variantes :
D’une part celui-ci ramène les empiristes aux rationalistes.
En effet, les empiristes croient que notre savoir est borné car il s’appuie sur
nos sens qui ont aussi des limites. Or croyant à l’instrumentalité du savoir,
ils arrivent donc aux mêmes résultats que les rationalistes.
D’autre part, Hegel va montrer la caducité
d’un aspect de la pensée de Kant et de ses disciples, Fichte en particulier,
qui assimilaient les formes de la sensibilité à un milieu ou medium déformant
nécessairement les choses que nous apercevons.11
5. Pour pallier ces inconvénients, on a inventé
des subterfuges somme toute futiles.
Les tenants
de la connaissance prise pour outil ou milieu, afin de remédier aux défauts de la
conception dualiste d’une connaissance séparée de l’absolu, ont inventé des ruses,
des subterfuges. C’est tout ce dispositif qui va être déconstruit, démantelé, brique
après brique, puis annulé, point par point, par Hegel.
Dans deux longs passages
que nous rapportons ci-dessous le début et la fin, Hegel développe son argumentation :
Dans la variante outil,
puisque celui-ci modifie, altère, le résultat de la connaissance, l’absolu, on
peut pallier cet inconvénient, corriger l’altération, par une soustraction. Retranchons
alors du résultat le changement causé par l’outil, « ajouté » par
celui-ci, et ainsi on obtiendrait, par ce mode d’action efficace et performante
(mode d’efficience), par cette opération de purification,
d’élimination de ce qui est « étranger» à la «chose elle-même», le vrai,
l’absolu, dans sa pureté. Or, souligne Hegel, en reprenant ce que l’outil
a fait de la chose, de l’absolu, par le façonnage et le changement, on ne fait que
comme si on n’utilise pas le moyen, l’outil. Cela veut dire tout simplement que
notre correction ne nous livre aucun « « reste » de
l’absolu inchangé»12. On se retrouve encore au point de
départ. Toute la peine que l’on s’est donnée pour procéder à une délimitation
critique de la connaissance, afin de « mesurer la connaissance à l’absolu,
quant à sa conformité à l’absolu»13 n’a servi à rien, est superflue.
Dans l’autre variante,
la connaissance comme un medium, il s’agit de la loi de réfraction. Ici
aussi l’opération de déduction, de soustraction, ne servira pareillement à
rien. On va tomber exactement sur la même constatation de superfluité, de
futilité de l’action. Car on se trompe de cible : ce n’est pas le rayon
réfracté qui est la connaissance mais le rayon lui-même par lequel la vérité
nous touche. En déduisant, soustrayant ou défalquant la réfraction, on ne
s’intéresse qu’à l’image déformée du rayon de la vérité, qu’au rayon dévié,
réfracté, et non au rayon d’origine. D’où
l’absurdité de tous ces subterfuges que Hegel en résume tout bonnement
ainsi : Dans l’un et l’autre cas, nous utilisons un moyen qui produit
immédiatement le contraire de sa fin ; ou plus exactement, l’absurdité
consiste en ceci, tout bonnement, que nous ayons recours à un moyen.
« Certes, il semble que
l’on puisse remédier à cet inconvénient par la connaissance du mode
d’efficience de cet outil... qui du coup est superflue. »
« Ou encore, si, nous représentant la
connaissance comme un medium... nous n’aurions plus alors que l’indication de
la pure direction, ou du lieu vide. »
Résumons-nous :
Dans les deux variantes, la connaissance comme outil et la connaissance comme
milieu, on se donne grande peine pour rien, pour arriver au vide, dit
Hegel. Dans un cas, la connaissance en tant qu’outil, nous nous débattons avec
l’instrument qui altère la vérité pour finalement retourner à la case départ. Dans
l’autre cas, la connaissance comme milieu, comme l’enfermé de la caverne de
Platon, on ne s’occupe que des images, des
rayons réfractés, des simulacres et des spectacles, de la vérité déformée et
non de la vérité elle-même, du rayon réfracté, dévié du soleil et non du soleil
lui-même, tout prés de nous, de l’absolu, auprès de nous.
6.
Cette futilité vient de la séparation de la connaissance d’un absolu qui
est chez nous.
Hegel
compare alors la connaissance prise pour outil au piège qui sert à attraper la
proie. La pensée instrumentaliste cherche par la connaissance comme outil, à la
manière de la glu pour attirer l’oiseau, de rapprocher l’absolu de nous,
philosophes, sans rien y changer, sans modifier sa substance, sans «le
transformer par le travail humain »14. Or c’est une ruse
de cette pensée, une « vaine gesticulation»15 de sa
part, qui cherche par toutes sortes de détours et sous prétexte de
la critique de la connaissance - d’abord tirer au clair ses limites
et sa portée - à s’arracher, à se détourner de la relation
immédiate de l’absolu à la connaissance.16
En effet, d’un côté,
l’examen critique de la connaissance « ne tient pas compte de l’absolu en
dépit de sa prétention immédiate à mieux savoir »17, et
d’un autre côté, l’absolu ne
se raille pas de pareille ruse, de pareil effort de « la critique »
(pensons à Kant et à ses disciples), car l’absolu est près de nous (sinon, s’il
n’était pas déjà chez nous, il se raillerait de pareil subterfuge, de pareille
ruse qu’il ne faut pas confondre avec la ruse de la raison). Comprenons-nous :
si en effet l’absolu se raille, se moque de l’affairement de « la
critique », cela veut dire qu’il partage avec celle-ci l’idée que la
connaissance serait un moyen, un instrument, à part, éloigné, séparé de l’absolu,
en vue de le capter, l’apprivoiser, l’approprier. Or c’est ce qui fait que l’absolu,
alors, ne serait pas absolu.18
« Si
l’outil était purement et simplement censé rapprocher de nous l’absolu sans
rien y changer, comme la glu le fait pour l’oiseau, il se pourrait bien alors
que cet absolu, s’il n’était pas déjà et ne voulait pas déjà être en soi et
pour soi chez nous, se raille de pareille ruse ; la connaissance ne serait
dans ce cas ni plus ni moins qu’une ruse, puisqu’en multipliant tous ces
efforts, elle se donnerait alors l’air de faire tout autre chose que produire
seulement la relation immédiate et peu coûteuse en efforts. »
Mais la connaissance ne
saurait être un piège rapprochant l’absolu de nous philosophes comme le
veut sa critique utilitariste. car l’absolu, est déjà en nous, et
Hegel le souligne, incidemment, fortuitement, au tournant d’une phrase, dans
une subordonnée et qui a « déconcerté les commentateurs»19 :
« l’absolu est, dès le départ, en soi et
pour soi, auprès de nous et veut être auprès de nous. » (deuxième traduction
retouchée par Heidegger)20
Or, ici c’est tout le
système Hegel qui raisonne ainsi : l’absolu, l’Esprit,
l’Esprit du monde, l’Esprit absolu, l’Esprit en œuvre dans un de ses
moments en nous, n’est pas du tout loin de nous, mais à l’inverse, il est comme
force intérieure, pensée et acte en ouvrage, en marche, tout près de nous, chez
nous, auprès de nous, en nous, dans sa course pour s’élever à la vérité.
Heidegger, dans son commentaire christologique
de Hegel, affirme qu’il s’agit là de παρουσια
de
l’absolu, de la lumière de l’absolu lui-même qui nous illumine, qui est en nous,
si la philosophie, en tant que connaissance de l’absolue, l’accepte et le
reçoit, si nous nous soucions de l’absolu, de l’Être seul qui est pour lui-même
et par lui-même.
« La
connaissance de l’absolu qui se trouve sous le trait de cette lumière, le rend
et le reflète, et est ainsi, en son essence, le trait irradiant lui-même, et
non pas un « milieu » quelconque à travers lequel le rayon aurait
d’abord à passer. Le premier pas que la connaissance de l’absolu a à faire,
consiste à accepter et à recevoir, en toute simplicité, l’absolu en son absoluité,
c’est-à-dire en son être-auprès-de-nous.
Cet être-présent auprès de nous, la parousie, est partie intégrante de
l’absolu en soi et pour soi. Si la philosophie, en tant que connaissance de
l’absolu, prend au sérieux ce que, en tant que pareille connaissance, elle est,
alors elle se trouve déjà être connaissance effective. »21
7.
Cette crainte de l’erreur, n’est que la peur d’une science qui connaît
effectivement.
Il s’agit ici, dans
cette partie du deuxième paragraphe, de la Science qui connait
effectivement, absolument. C’est-à-dire de la philosophie qui s’est
accomplie. En d’autres termes, du « savoir inconditionné »22,
savoir de l’absolu, l’auto-déploiement de l’absolu lui-même, à l’intérieur de l'Esprit
qui est en soi et pour soi. Cette science qui se met en œuvre, à
l’ouvrage, n’a pas, dit Hegel, ce genre de scrupules
(souligné par nous), c’est-à-dire doutes et hésitation, que l’on trouve chez la
« critique » (comprenons Kant) envers la connaissance de l’absolu. Cela
ne veut pas du tout dire qu’elle (la Science) se mette au travail sans examen, « sans
scrupules », sans sérieux, sans attention, sans soin, sans rigueur, sans doutes
etc. Mais la critique, posant la connaissance, la science, comme instrument
avec ses limites, donc posant l’absolu hors de sa portée et de son pouvoir, doute,
se méfie, d’une connaissance, d’une science qui veut l’absolu - c’est-à-dire
d’une science qui désire effectivement et vraiment l’absolu et qui se met donc au
travail, à l’œuvre, pour mener à bien et réaliser son désir - et qui se
représente ce que le réel lui-même est en vérité. D’une science donc qui
considère que tout ce qui est rationnel est réel et tout ce qui est réel est
rationnel, ou bien que l’absolu seul est vrai ou seul le vrai est l’absolu.23
Philonenko écrit à ce
sujet : « Pour quelle raison, demande Hegel, ne mettrait-on pas à
leur tour en doute les philosophes qui ont introduit cette méfiance et pourquoi
ne s’en méfierait-on pas ? Cela veut dire exactement ceci : Kant se
méfie de la science qu’il regarde comme un instrument – et cela donne les
résultats qu’on sait : la chose en soi, etc. - pourquoi ne se méfierait-on pas du
kantisme ? »24
« Remarquons en passant que, si le souci du
risque de tomber dans l’erreur introduit une méfiance envers la science qui se
met à l’ouvrage proprement dit sans ce genre de scrupule, et connaît
effectivement, on ne voit pas dès lors pourquoi on ne devrait pas introduire, à
l’inverse, une méfiance à l’égard de cette méfiance, ni s’inquiéter que cette
crainte de faire erreur ne soit déjà l’erreur elle-même. »
Cette peur, cette
crainte de faire erreur, de se tromper, de tomber dans la non-vérité, dans le
faux , au-delà de son aspect, son caractère, psychologique, moral etc. est l’erreur
elle-même. C’est donc, selon Hegel, la crainte de l’erreur, et pas
l’erreur en tant que telle, qui est l’erreur elle-même. Or, dans la conception
dialectique hégélienne, le faux, l’erreur, le non-vrai ne font-ils pas partie
intégrante du procès de la « vérité » en marche, au travail, en
action, en œuvre... dans son accomplissement vers l’Esprit absolu ?
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Au terme de ce travail
sur le premier et une partie du second paragraphe de l’Introduction de la
phénoménologie de l’esprit de Hegel, que peut-on formuler, en guise de
conclusion, sur ce que le philosophe d’Iéna a voulu nous dire à une époque
bien particulière (1806) tant dans l’histoire du monde - n’a-t-il pas vu, lui,
en ce moment même, du haut, sous sa fenêtre, cette âme du monde.. qui,
concentré ici sur un point, assis sur un cheval, s'étend sur le monde et le
domine ?- que dans l’histoire de la philosophie : n’a-t-il pas
mis en œuvre son système, rompant avec la philosophie classique, Descartes,
Kant, Fichte, Schelling... et présentant le savoir devenant : connaissance
qui devient savoir pur ou Esprit absolu ?
La méthode dialectique
de Hegel, on le sait, se retrouve aussi, dans sa méthode de la mise en
forme de ses propositions, dans sa façon d’assemblage, d’ordonnancement et
d’agencement des ensembles d’idées. En ce sens que l’auteur, dans le cours du
développement de ses propositions, commence souvent chaque ensemble d’idées, de
propositions, par une une conclusion récapitulative de l’ensemble précédent,
avant de continuer, sur cette base, un nouveau développement. C’est le cas ici
où dans le § 4 de l’Introduction, Hegel nous propose une conclusion condensée et
claire, une synthèse, de ce qui a précédé, et en particulier des paragraphes 1
et 2. Cette méthode facilite en fait la tâche du tout commentateur de ses œuvres qui
peut trouver et comprendre le sens profond et vrai de chaque paragraphe ou
ensemble d’idées dans le paragraphe ou l’ensemble précédent.
Nous terminons ainsi
notre conclusion en exposant ce qu‘écrit Hegel dans ce paragraphe 4. Le
fragment qui nous intéresse commence par « Plutôt que de s’embêter »
(page 117) et se termine à « contingentes et arbitraires » (page 118)
dans la traduction de Lefebvre.
Hegel souligne que :
1-
Il y a en philosophie,
un genre de représentations et formules inutiles.
2-
Elles sont inutiles car elles présentent la
connaissance comme un outil pour s’emparer de l’absolu ou encore comme un
élément intermédiaire à travers lequel nous apercevons la vérité.
3-
Or, en ce faisant, en
rapportant la connaissance à un instrument ou un milieu intermédiaire, ces
représentations finissent par considérer une connaissance séparée de
l’absolu et un absolu séparé de la
connaissance.
4-
Toutes les échappatoires
déduites de ce rapport présupposé entre la connaissance prise pour outil ou
milieu et l’absolu, comme deux choses séparées, ne servent finalement qu’à se
dégager du dur travail de la science, science de l’absolu en œuvre, tout
en se donnant l’air de l’effort, de la rigueur et du cœur à l’ouvrage.
5-
Cessons donc de nous épuiser
avec ces ruses, de nous torturer le cerveau avec des réponses à tous les
problèmes que posent ce genre de représentations. Rejetons
les comme autant de représentations contingentes et arbitraires.
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Notes
* Hegel Phénoménologie de l’esprit. Traduction par Jean-Pierre Lefebvre. Flammarion 2012. Pages
115 à 117.
1. Errance,
terme
emprunté de Heidegger dans Hegel et son concept de l’histoire
– voir note 4.
2.
Lecture de la Phénoménologie de Hegel.
Préface-Introduction. Alexis
Philonenko. Vrin 2004. P. 107.
3. Phénoménologie de
l’esprit Hegel. Pierre-Jean
Labarrière. ellipses 2014. P. 30.
4.
Chemins qui ne mènent nulle part. Hegel et son
concept de l’histoire. Martin Heidegger. Galliard 1962. Pages: 147-252.
5.
Op. cit.
6. PhE. Traduction de Lefebvre, Ibid., p. 30.
7. Terme emprunté à Heidegger. Ibid., P. 165.
8. Chemins qui ne mènent nulle
part.
Ibid., p. 159.
9. Lecture de la
Phénoménologie de Hegel. Préface-Introduction. Ibid., p. 111.
10. Op. cit. p. 112.
11. Op. cit. p. 114.
12. Chemins qui ne mènent nulle
part.
Ibid., p. 160.
13. Op. cit. p. 161.
14. Lecture de la
Phénoménologie de Hegel. Préface-Introduction. Ibid., p. 115.
15. Hegel
Phénoménologie de l’esprit.
Traduction de Bernard Bourgeois. Vrin. 2006. note de la page 119.
16. Chemins qui ne mènent nulle
part.
Ibid., p. 161.
17. Op. cit. p. 161.
18. Op. cit. p. 161.
19. Lecture de la
Phénoménologie de Hegel.
Ibid., p. 115.
20. Chemins
qui ne mènent nulle part. Ibid., p. 161.
21. Op. cit. p. 161-
162.
22. Op. cit. p. 163.
23. Hegel
Phénoménologie de l’esprit. Traduction par
Jean-Pierre
Lefebvre. Introduction.
P. 117.
24.
Lecture de la Phénoménologie de Hegel.
Préface-Introduction.
Ibid., p. 117.
Livres
et textes consultés
1. Chemins
qui ne mènent nulle part. Hegel et son concept de l’histoire. Martin
Heidegger. Gallimard 1962.
2. Lecture de la Phénoménologie de Hegel.
Préface-Introduction. Alexis
Philonenko. Vrin 2004.
3. Phénoménologie de l’esprit Hegel. Pierre-Jean Labarrière. ellipses
2014. P. 30.
4. Hegel - Phénoménologie de l’esprit. Traduction de Bernard Bourgeois.
Vrin. 2006.
5. Hegel - Phénoménologie de l’esprit. Traduction de Jean Hyppolite.
Aubier. 1941.
6. Hegel – François Châtelet. Seuil. 1994.
7. Hegel - Phénoménologie de l’esprit Hegel. Traduction : Pierre-Jean
Labarrière. Gallimard 1993.
8.
Le vocabulaire de Hegel. Bernard Bourgeois. ellipses. 2000.